Bernard Bühler : Dichroïque, “ça rend vivant le bâtiment !”
Un immeuble qui scintille de mille feux : c’est la résidence Fulton à Paris, emblématique de la Tendance Dichroïque. Rencontre avec son créateur, l’architecte Bernard Bühler.
Un immeuble qui scintille de mille feux : c’est la résidence Fulton à Paris, emblématique de la Tendance Dichroïque. Rencontre avec son créateur, l’architecte Bernard Bühler.
La résidence Fulton, sur les bords de Seine à Paris (vers le quai de Bercy), est une figure de proue de la tendance Dichroïque – cette dernière a d’ailleurs marqué de nombreux lecteurs de Du Côté de Chez Vous. La couleur est une marque de fabrique de son créateur, l’architecte bordelais Bernard Bühler. Habitué des programmes d’habitations à caractère social, il a pour credo d’apporter “du beau dans du laid”, coûte que coûte. Ses réalisations, facilement reconnaissables par leurs aplats de couleurs en façade, l’ont naturellement dirigé vers l’effet Dichroïque. Rencontre.
En quoi consiste le projet « résidence Fulton », qui exploite l‘effet dichroïque ? En 2017, l’agence Bernard Bühler a livré la première partie d’un vaste programme de réhabilitation à Paris dans le XIII° arrondissement, rue Fulton. En lieu et place des 133 logements sociaux construits dans les années 50, ce sont 320 nouveaux logement, commerces et équipements publics qui vont, à terme, voir le jour en front de Seine.
Pourquoi avoir choisi cette technique ? L’agence a toujours beaucoup travaillé avec la couleur. Nous recherchions quelque chose de différent cette fois-ci. Pour plusieurs raisons :
L’effet dichroïque a pour particularité de changer de couleur suivant la lumière du jour, l’heure à laquelle on le regarde, ou même l’angle selon lequel on se place. On peut passer du rose au jaune ou au bleu et ça, c’est vraiment intéressant en terme d’architecture. La notion d’un bâtiment “scintillant” nous a paru pertinente dans notre recherche de colorer l’ordinaire.
L’intimité derrière un garde-corps dichroïque est quasi intégralement préservée. Contrairement à des garde-corps colorés, on distingue seulement une vague masse derrière la paroi.
À l’arrière du film dichroïque, la lumière n’est pas teintée, elle est neutre. Il n’y a aucun reflet coloré à l’intérieur de l’habitat, chose qui n’est pas possible avec du verre teinté et qui peut gêner les habitants du logement. Même si, personnellement, je préfère avoir de la lumière colorée dans un logement qu’une lumière grise!
À quel moment Dichroïque est-il apparu dans le processus créatif ? Dès le départ! Ayant toujours en tête d’embellir le quotidien, il nous a fallu jouer avec le cahier des charges des logement sociaux, qui est extrêmement codifié. Il faut prendre en compte le budget, calmer les craintes d’un bâtiment trop contemporain, trop “flashy”.
Qu'est-ce que Dichroïque a apporté au projet Fulton ? Beaucoup de dynamisme! Un bâtiment qui change de couleurs au fil de la journée, qui scintille, c’est un bâtiment vivant ! De plus, cela signe aussi l’architecture et signifie quelque chose dans l’environnement : les gens n’habitent plus un immeuble lambda mais LE bâtiment dont tout le monde parle dans le quartier. Vivre dans un collectif de logements inattendu et insolite, cela fait aussi partie d’un processus de valorisation pour l’habitant.
Un bâtiment qui change de couleurs au fil de la journée, qui scintille, c’est un bâtiment vivant ! De plus, les gens n’habitent plus un immeuble lambda mais LE bâtiment dont tout le monde parle dans le quartier. C’est valorisant.
Quelles particularités y a-t-il à travailler cette technique dans un projet ? Avez-vous des difficultés ou opportunités particulières à signaler à nos lecteurs ? Pas de difficultés à proprement parler, si ce n’est que le film dichroïque a un coût certain. C’est évidemment plus cher que du verre avec un film classique mais il fallait essayer. Pour ce projet-là, les moyens étaient disponibles.
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un créateur qui se lance dans un projet ayant recours à Dichroïque ? Dichroïque ou pas, il faut faire les choses avec envie ! C’est l’envie de le faire qui doit être moteur.
Y-a-t-il des étapes spécifiques avant l’utilisation du film dichroïque? Réalisation d’un prototype ? Tests en environnement réel ? Oui, bien sûr! Il a fallu convaincre les maîtres d’ouvrage qu’il n’y aurait pas de lumière colorée dans le logement, que l’intimité serait préservée, que l’effet scintillant serait une plus-value pour le bâtiment. Comme il s’agit de quelque chose d’assez nouveau, il faut mobiliser beaucoup d’énergie pour amener tous les protagonistes à valider cette idée. Ici, j’ai eu la chance de pouvoir compter sur le maire du XIIIème arrondissement de Paris, Jérôme Coumet, qui était très ouvert à l’esprit contemporain du projet. Mais aussi d’ICF la Sablière et des maîtres d’ouvrage qui se sont laissés convaincre.
Avez-vous aimé travailler l’effet dichroïque ? Oui car c’est surprenant, étonnant, ça amène de la gaieté, de la beauté, ça rend vivant le bâtiment! Les gens en parlent, ça interroge. J’aime beaucoup ce passage de Baudelaire qui demande à un vitrier : “Vous n’avez pas de vitres de couleurs? (...) des vitres qui fassent voir la vie en beau?”. Avec l’effet dichroïque, la réponse est là.
Comment ? Vous n’avez pas de verres de couleur? Des verres roses, rouges, bleus, des vitres magiques, des vitres de paradis ? Vous osez vous promener dans des quartiers pauvres, et vous n’avez pas même de vitres qui fassent voir la vie en beau !
(Baudelaire «LE MAUVAIS VITRIER», Petits Poèmes en prose, IX, 1857.)
Quels retours, remarques, critiques, réactions, vous ont le plus marqué au sujet de la résidence Fulton ? Justement le fait qu’il n’y ait pas eu de mauvais retours. Contrairement à des garde-corps en verre coloré, les habitants n’ont pas de reflets teintés à l’intérieur et, comme la couleur change tout le temps, personne ne peut dire “je n’aime pas le rouge, je n’aime pas le vert, etc…” Il y en a pour tous les goûts.
Y aura-t-il d'autres projets utilisant l’effet dichroïque dans votre travail ? Oui, nous avons réalisé le programme Koh-I-Noor pour Kalelithos, à Montpellier. Cette fois encore, les garde-corps ont été réalisés avec des verres à effet dichroïque. Les occupants peuvent profiter des immenses terrasses en toute intimité, les garde-corps sont même suffisamment hauts pour qu’ils puissent entreposer leurs vélos sans dénaturer l’esthétique de façade. Et le soleil de la Méditerranée ne cesse de jouer avec les reflets changeants…
Qu'aimeriez-vous faire à l'avenir avec l’effet dichroïque? Pouvoir continuer à l’utiliser le plus souvent possible!
Un grand merci à Bernard Bühler pour sa disponibilité, et sa passion. Le site de son agence : www.bernard-buhler.com