Vous l’aurez certainement compris à ce stade, notamment à travers
les tutoriels présents sur notre site, nous sommes pour un design ouvert, un design appropriable par tous. Nous sommes certains que c’est un élément essentiel pour qui veut développer son autonomie et sa créativité. Parce qu’il est toujours bon de revenir aux origines pour comprendre un mouvement, nous retraçons ici l’histoire de l’open design. Nombreux penseurs et créateurs ont contribué à un plus grand partage des idées, il est important de comprendre ce qui les a poussé à le faire et dans quel contexte.
Cet article apporte des clés de lecture et ne tente pas d’être exhaustif sur le sujet. Si vous avez des informations à ajouter ou des ressources à nous partager sur le sujet, rendez-vous
sur Facebook ou par mail
creation@ducotedechezvous.comL’open source
Pour comprendre l’open design il est nécessaire de remonter à la naissance de l’open source. Avec l’arrivée de l’informatique et de son accessibilité au grand public, grâce aux micro-ordinateurs, les logiciels ont pris de la valeur. Un marché autonome de logiciels a alors pris place et ce produit a commencé à être vendu séparément des machines. Dans un objectif de profit et de non concurrence, les entreprises ont décidé de ne pas divulguer le code source de leurs logiciels. C’est en contradiction avec cet état de fait capitaliste qu’est né le mouvement open source. À l’initiative d’un chercheur du MIT, Richard Stallman, qui déplorait de ne pouvoir accéder au code source de son imprimante pour la réparer. Il décida alors de promouvoir une approche consistant à inviter tous les concepteurs de logiciels à ouvrir le code source de ces derniers de façon à créer un grand espace commun de logiciels et de connaissances accessibles à tous sans restriction.
Sa philosophie vise à rendre plus autonomes les propriétaires de machines informatiques, mais aussi à favoriser le développement des technologies par le partage de connaissances. En effet, en diffusant le code source d’un logiciel, vous permettez aux autres de l’enrichir, et de le re partager à leur tour. C’est comme cela que les produits peuvent évoluer beaucoup plus rapidement.
Mais pour éviter les dérives, comme par exemple une volonté malveillante de faire du profit sur le travail de la communauté, Richard Stallman eut l’idée de cadrer la diffusion des logiciels par une licence répondant à un certain nombre d’enjeux éthiques et techniques : la licence dite « GNU GPL », créée en 1983.
Cela s’inscrit dans une volonté globale de repenser la consommation, dans un contexte de mondialisation frénétique, dicté par le marché. Nous revenons au sujet des licences plus tard dans cet article.
Les origines de l’open design
L’un des pionniers les plus reconnus de l’open design n’est autre que le designer et enseignant américain Victor Papanek. En 1971 il publie un ouvrage à contre-courant, qui constitue les prémices de ce mouvement. “Design pour un monde réel” transmet les valeurs d’un design écologique et éthique, à travers une critique radicale du tournant qu’a pris le métier de designer à l’époque En s’attaquant à toute la profession, il remet en question ses finalités et les moyens qu'elle met en œuvre, dans un contexte de fin des trente glorieuses. Victor Papanek dénonce ainsi les mauvaises pratiques du designer industriel et des publicitaires, qui travaillent sous le diktat du marché.
À cette époque de production de masse émerge la problématique environnementale, notamment d’épuisement des ressources.
Mais son ouvrage ne se contente évidemment pas de critiquer. Il propose une multitude de solutions simples pour adopter une posture plus responsable, comme le recyclage et la prise en compte du cycle de vie des objets conçus. En suggérant l’éco-conception, il instaure petit à petit les bases du design écologique.
La deuxième notion pour laquelle Victor Papanek se bat est le bien commun. Il souhaite réduire la production d'objets en les rendant empruntables, non propriétaires et individuels. Il considère les brevets et droits d'auteur comme erronés et discriminatoires. Il n’a d’ailleurs jamais déposé aucun projet dans un intérêt de toucher des droits. À l’inverse il mettait ses travaux à disposition et les rendait open source. Ses étudiants ont poursuivi cette démarche.
On peut citer son célèbre projet réalisé en 1965 pour l’Unesco à Bali : une radio alimentée par une bougie, du bois, ou des excréments de vache séchés, et pour lequel il n’a pas travaillé l’esthétique pour ne pas influencer les Indonésiens.
La Tin Car Radio était à la fois économiquement accessible au plus grand nombre, et elle rendait l’utilisateur intelligent et autonome (en ouvrant la boite noire) et créatif (en luttant contre l’imposition d’une esthétique uniforme).
Sa pensée a traversé le monde entier et a démontré que l'éthique pouvait rejoindre le domaine du design, même dans un système capitaliste. La notion d'équipe dans les méthodes de travail de design, le partage des idées et des processus, constituent les points fondamentaux de la pensée de Victor Papanek.
L’open design va connaître un nouveau tournant avec l’émergence des technologies de fabrication numérique. C’est la naissance du mouvement maker.
Le mouvement Maker
Pour aller plus loin on vous conseille le très utile livre de Chris Anderson “Makers, la nouvelle révolution industrielle” qui retrace l’histoire et les valeurs du mouvement.
L’auteur y explique les principaux mécanismes qui constituent le mouvement maker, que nous allons tenter de résumer.
En premier lieu, l’accessibilité grandissante des outils de conception et de fabrication numérique a élargi les possibilité de l’open design. L’impression 3D, la découpe au laser, et les logiciels de CAO (conception/design assistée par ordinateur) se développent et existent désormais à des prix accessibles.
Le deuxième facteur est l’émergence d’outils facilitant le partage d’idées. La création étant de plus en plus numérique, tous les dessins et plans sont donc devenus partageables facilement en ligne. De l’abolition des frontières permise par le web naît une économie collaborative importante autour de la création. Le modèle classique du bricoleur travaillant seul dans son atelier disparaît au profit d’un mouvement global de personnes collaborant ensemble en ligne. La naissance du crowdfunding avec des plateformes telles que Kickstarter en est une preuve.
Le troisième élément fondamental du mouvement maker est la location du matériel. Avant, la production en quantité était réservé aux possesseurs d’usines, soit les industriels. Désormais, on peut commander des pièces auprès d’usines, même en faible quantité, ou bien louer le temps de fonctionnement d’une imprimante 3D ou d’une fraiseuse grâce à des plateformes comme Shapeways. L’émergence des fablabs et autres ateliers partagés permet également de réunir les créateurs et makers physiquement et de leur donner accès à du matériel partagé. Tous ces éléments facilitent l’accès aux technologies et la collaboration entre individus. D’après l’analyse de Chris Anderson, cette révolution de l’industrie de transformation sera aussi importante que l’ont été la révolution informatique et l’accès à l’ordinateur personnel il y a 20 ans.
En 2005, le journaliste Dale Dougherty de O’Reilly Media lance le journal trimestriel “Make magazine” sur les projets DIY mais aussi, en 2006, une série nationale de “Make Faires” (maintenant appelés
“Maker Faire”). L’apparition du magazine et de ces événements internationaux réunissant des projets et leurs créateurs ont acté un peu plus l’importance de ce mouvement et permis de réunir ses adeptes, toujours plus nombreux.
Les licences
De nombreuses communautés ont vu le jour sur le web autour de l’économie collaborative. À mesure que le mouvement prend de l’ampleur, le besoin de cadrer le partage pour assurer le respect de la propriété intellectuelle grandit.
Pour assurer à la fois la pérennité de l’économie du partage et permettre une diffusion plus large des oeuvres en open source, plusieurs systèmes de propriété intellectuelle et de licences sont apparues au cours des dernières décennies.
La GNU fut la première, imaginée par Richard Stallman, le père de l’open Source. La licence publique générale est largement utilisée pour le logiciel libre, et elle est “copyleft” (jeu de mot basé sur “copyright”). Cela signifie que les travaux dérivés ne peuvent être distribués que sous les mêmes conditions. Elle est considérée comme protectrice, à la différence des licences de logiciel libre permissives, dont les licences BSD et la licence MIT sont des exemples largement utilisés.
Lancée en 2002, la licence
Creative Commons est une des licences publiques de droits d’auteur permettant la diffusion d’oeuvres par ailleurs protégées. Il en existe 6, elles sont combinables et utilisées lorsqu'un auteur veut donner aux gens le droit de partager, d'utiliser et de développer une œuvre qu'il a créée. Les CC offrent aux auteurs une marge de manœuvre et protègent les personnes qui utilisent ou redistribuent l’œuvre.
Dans
l’Open Design Manifesto rédigé par Ronen Kadushin en 2010, il explique que ce concept consiste en deux préconditions :
un design (dans le sens “une conception”) ouvert doit être publié, sous licence libre, et les plans accessibles au téléchargement, à la production, copie et modification.
Un objet ouvert est produit à partir de machines à commandes numériques et sans outillage particulier, ce qui permet à quiconque possède ces machines de pouvoir produire lui-même.
Vous l’aurez compris, promouvoir l’open design c’est participer à la construction d’une nouvelle forme d’économie, basée sur le partage, l’éthique, l’autonomie de l’utilisateur et le développement de la créativité de chacun. Comme ce mouvement est récent, les solutions et modèles qu’il apporte sont encore à inventer et chacun peut y aller de son interprétation. Pour aller plus loin nous vous invitons à revoir
la présentation de Geoffrey Dorne sur le sujet et notre article dédié aux créateurs pour
tirer partie de l’open design dans vos travaux.