Dans la société capitaliste dans laquelle nous vivons, le jetable fait parti de nos quotidiens. On achète, on jette, on rachète, on change sa garde-robe, on refait toute sa décoration… La consommation va bon train. Et le milieu de la création, précisément du design d’objet et d’intérieur, n’y échappe pas. Cependant, l’insouciance des baby boomers commence à laisser place à une prise de conscience de l’environnement. On a commencé à comprendre que nos actes avaient des conséquences, et que les ressources n’étaient pas inépuisables. Pire encore, de nombreuses études ont prouvé la véritable urgence à modifier nos comportements. La transformation doit être aussi rapide et radicale qu’elle l’a été pour le passage à une société consumériste. Face à cette urgence de tout réinventer pour réduire notre impact environnemental, on observe un retour aux sources.
Retour à l’agriculture biologique, à la consommation locale, et regain d’intérêt pour le jardinage, les plantes, les matériaux naturels… Après avoir passé des dizaines d’années entourés de plastique et de produits chimiques, la reconnexion avec la nature est nécessaire. Les créateurs et designers ont grandement leur rôle à jouer dans cette transition.
L’Homme et la matière
La société du jetable
La “société du jetable” repose sur le consumérisme et l’obsolescence programmée des objets que l’on consomme. Des habitudes se sont installées pendant plusieurs décennies, et tout a été pensé pour la consommation en masse. L’épuisement des ressources, le recyclage des déchets et plus globalement l’impact environnemental des entreprises ont longtemps été ignorés, au profit de créations et productions frénétiques. Amorcer un changement nécessite de repenser l’objectif même d’une création. Son but est-il de répondre à un besoin ? Sur le long terme ? Ou bien elle est destinée à créer un besoin, et être jetée à la prochaine envie ? Sa composition est-elle durable ? Une seconde vie pour cet objet a-t-elle été imaginée en amont ? Le sujet est vaste, et bien heureusement les designers commencent à s’emparer de ces problématiques.
Pour James Williams, le co-fondateur de la campagne
Time Well Spent, le design doit prendre en compte et regarder ses externalités. Et lorsque les designers ne mesurent pas les conséquences d’une création, ils n’ont pas de prise sur celles-ci. Un peu comme pour la pollution : tant qu’on ne la quantifie pas, on ne peut pas la prendre en compte. Il faut passer de la notion vague que quelque chose ne va pas, à sa prise de conscience précise. Cette prise en compte nécessite de nouvelles responsabilités et de nouvelles valeurs.
Nouvel or : le déchet
Face à cette prise de conscience, la manière dont on conçoit les ressources est transformée.
Créer un matériau neuf n’a plus beaucoup de sens, c’est le déchet qui est désormais valorisé.
Une nouvelle génération de créateurs est en train de voir le jour. Des créateurs qui voient le déchet comme une ressource à part entière, et qui s’obligent à réfléchir à des moyens de le réutiliser, à de nouvelles techniques pour le manipuler. Les industries produisent généralement le même déchet continuellement, il est donc plus que logique d’en venir à imaginer l’exploitation de ces déchets. On pense notamment au
studio Maximum qui a basé son activité sur ce constat. Ce studio parisien
(dont on vous parlait ici) imagine des collections d’objets à partir de déchets industriels. Il n’est pas rare qu’ils doivent même inventer la machine nécessaire à l’exploitation de certains déchets. La démarche est si vertueuse et pleine de bon sens qu’on se demanderait presque pourquoi elle n’a pas été pensée au commencement même de toute production industrielle. Le déchet n’est donc plus vu comme un bien sans valeur dont il faut se débarrasser sans s’inquiéter de là où il va finir, mais bien comme une ressource valorisée qui peut être à l’origine de nouveaux objets. Ces matériaux bénéficiant d’une seconde vie racontent à leur tour une histoire. Généralement, les créateurs laissent apparaître l’histoire du matériau dans la création. Le recyclage est assumé, même revendiqué, chaque déchet recyclé transmet des bribes d’une vie antérieure. Le potentiel de chaque matériau autrefois destiné à la poubelle est alors repensé.
Les prémices de l’éco-conception
Concept de base
Face à ces enjeux est né un mouvement, l’éco-design, ou éco-conception. La notion est apparue notamment avec la pensée d’un des pionniers en la matière : Victor Papanek. Dans son ouvrage “Design for the real world” paru en 1971, il présente sa vision des produits industriels qu’il juge mal adaptés et futiles. Selon lui, le design doit prendre en compte son impact sur l’environnement et sur les humains.
L’éco-conception vise donc à mettre sur le marché des produits ou des services en maîtrisant leur impact environnemental pendant toutes les phases de leur cycle de vie.
Cela passe par la pleine conscience de toutes les étapes d’un produit, et le calcul de l’ACV : analyse du cycle de vie. Cette méthode permet de réaliser un bilan environnemental complet pour un produit. Comme nous le disions précédemment, il est difficile d’amorcer un changement sur quelque chose dont on a n’a pas la mesure exacte. La mesure de l’ACV a été un premier pas pour rendre palpable l’impact environnemental des créations. Plus largement, l’éco-design passe par la recherche de nouveaux compromis techniques (en introduisant par exemple de nouveaux critères environnementaux) sans changer l’identité principale des produits
Pendant longtemps, le mouvement d’éco-conception est tout de même resté assez marginal, il s’agissait surtout de créations à partir de matériaux récupérés, leur esthétique était souvent assez similaire et peu travaillée, et les créations n’étaient pas industrialisables ou productibles en série.
Nouvelle génération de designers
L’éco-design connaît un nouveau souffle avec l’apparition des fablabs, découpeuses laser, imprimantes 3D… Les possibilités sont alors multipliées : facilité de prototypage d’une création, optimisation du temps de fabrication et de la quantité de matériau nécessaire...
L’impression 3D a notamment permis de faire émerger une idée toute simple et pourtant révolutionnaire à l‘ère consumériste actuelle : réparer au lieu de jeter.
Pour faire un pied de nez à l’obsolescence programmée, de nombreux projets ont commencé à voir le jour. Beaucoup d’éco-designers se sont emparés de la technologie pour réparer et donner une seconde vie aux objets. On pense notamment au projet des
5.5 Designers et Emmaüs : Réanim. En 2003, le collectif lance cette initiative pour sauver des objets en les opérant, ils greffent des prothèses sur des chaises à 3 pieds par exemple.
À travers cette collection, les designers questionnent notre rapport aux objets et à leur valeur. Cela nous oblige à repenser nos modes de consommation, et pour les designers à repenser leur place dans le processus de création. Le mouvement maker émerge, et prône des valeurs responsables et vertueuses. Conjointement aux préoccupations écologiques, l’humain et le partage sont aussi au cœur du mouvement maker. L’avancée technologique, oui, mais pas au profit de n’importe qui et pas au détriment de l’environnement. L’économie du partage fait son apparition, avec
l’open design qui promeut un design ouvert, accessible à tous. C’est tout le système dans lequel nous vivons, créons, consommons, qui est questionné à travers l’éco-conception.
De l’artisanat à l’industrialisation
Toutes ces préoccupations grandissantes ont permis de développer une nouvelle manière d’envisager la création : il n’y a plus de limites. Les créateurs inventent de nouveaux procédés de transformation, ils explorent les propriétés des matériaux, créent à partir de déchets, inventent les machines pour répondre à leurs besoins… Un design éco-responsable nécessitait de repousser toutes les limites pour aller vers une dé-standardisation des objets. Ces nouveaux procédés ont fait naître de nouvelles esthétiques, différentes et imparfaites.
Le retour à l’artisanat se retrouve dans la conception même d’un objet, qui retranscrit alors les imperfections de son procédé de fabrication. Les designers ne réinventent pas nécessairement les formes, mais l’aspect du rendu.
On recherche l’unique. L’histoire de la création ou du matériau doit se voir. Les surfaces lisses, identiques fabriquées en série intéressent moins. Ce qui est important dans ces nouvelles esthétiques c’est leur pouvoir de déclencher une réflexion, mais aussi une rupture avec l’éco-design d’avant, où l’esthétique venait en deuxième temps… Désormais, on peut se projeter avec du mobilier éco-responsable chez soi tant les solutions proposées sont nombreuses et travaillées.
On retrouve dans ces esthétiques imparfaites un parallèle flagrant avec la nature : irrégulière, aléatoire, surprenante. Ce désir de la respecter se retranscrit dans des formes qui cherchent à l’imiter. On appelle cela le biomimétisme, et il serait peut-être en train d’apparaître comme une solution encore plus vertueuse. Imiter la nature, et pas seulement son esthétique mais aussi son intelligence, pourrait nous conduire à des créations plus vertueuses. Ce sont autant de possibilités qui restent encore à explorer...