Comment, d’un besoin de produire des pièces qui ont du sens, dans les techniques utilisées comme dans les matériaux choisis, sont nées de nouvelles esthétiques dans l’habitat ? Nous nous intéressons aujourd’hui à ces créations qui racontent une histoire vertueuse, qui intriguent et qui s’imposent petit à petit à nous comme des alternatives nouvelles et durables.
Face à la société de sur-consommation dans laquelle nous vivons, préserver les ressources naturelles et notre écosystème est une préoccupation majeure. C’est pourquoi, de multiples studios et designers revalorisent la matière en réalisant des créations à la fois esthétiques et vertueuses. Mais pour créer ces odes à la nature, tout en s'inscrivant dans l'éco-création que suggère la tendance Virtuous, certains artistes et artisans choisissent une ressource de taille : nos propres déchets. En effet, nombreux sont ceux qui réalisent des créations hors du commun à partir de détritus, en vue d’instaurer un cercle vertueux tout en leur donnant un aspect naturel. Une alternative parmi tant d’autres puisqu’ils auraient pu également recourir à des matières non polluantes voire totalement naturelles par exemple pour rester dans cette démarche vertueuse. Utiliser les déchets a été pour eux la solution adéquate pour valoriser la nature avec des matériaux non conventionnels et par définition non vertueux… D’autres, en revanche, ont recours à des matériaux beaucoup plus responsables et étonnants pour permettre de donner forme à des créations durables, responsables et soucieuses de notre environnement.
Imiter la nature
Tout au long de l’Histoire de l’art, nombreux sont les artistes - antiques comme contemporains - qui ont été influencés par la nature, désireux de l’égaler dans sa représentation visuelle. La mimésis, notion philosophique introduite par Platon revendique un rôle illusoire à l’art pictural. Tantôt traduite par ‘représentation’ ou ‘imitation’, la mimésis a pour lui une dimension négative puisqu’elle donne à voir une illusion du réel. L’artiste peintre ne réalise alors qu’un objet qui est lui-même produit par l’artisan ou par la nature. Ce n’est qu’avec Aristote, disciple de Platon, que cette théorie philosophique devient positive. À ses yeux, le but de l’art est d’imiter la nature. De ce fait, l’artiste n’a pas vocation à atteindre le vrai mais il doit viser le vraisemblable. La mimésis prend alors un nouveau sens : celui de valoriser les différentes esthétiques présentes dans la nature pour donner à voir des représentations auxquelles le spectateur peut adhérer.
L’art serait-il alors une imitation du réel (et donc de la nature) ? Représenter la nature a toujours été un débat houleux qui en a taraudé plus d’un au cours de l’Histoire. Objectivement, et comme le défend Hegel, l’art ne peut rivaliser avec la nature puisqu’aucune imitation n’est issue de la nature elle-même. Selon lui, l’art serait alors une technique faite pour l’esprit par lequel l’Homme se rapproche de la nature et lui permet de prendre conscience de son humanité.
Quoi qu’il en soit, ce dont on peut être certains, c’est que le rôle de la nature au sein de l’art a toujours été (et sera toujours) présent. La nature est une source d’inspiration inépuisable pour les artistes comme les designers, créateurs, inventeurs et ingénieurs du XXIème siècle.
Par exemple, le studio
Blocksfinj présente une nouvelle alternative au marbre traditionnel. Réalisée majoritairement en polyuréthane issu d’un marché local, chaque pièce devient alors plus légère et s’inscrit dans une logique d’hyper-réalisme puisqu’on croirait que chacune a été taillée dans le marbre. L’utilisateur est alors surpris au contact avec la matière puisqu’il s’attend à une surface froide et dure mais se confronte à un matériau souple et moelleux au sein duquel il s’engouffre.
Le studio
Ecobirdy, réalise une collection d’objets à l’apparence minérale. À la différence que chaque pièce est réalisée à partir de plastique recyclé au motif unique. En ce qui concerne la réalisation des tapis Sea Me,
Nienke Hoogvliet a récupéré des filets de pêche qu’elle a ensuite agrémenté de fils faits à partir d’algues marines pour donner vie à des tapis que l’on croirait tout droit sortis de l’eau. Après moult recherches sur les algues et sur les peaux de poissons, la créatrice s’intéresse énormément à toutes les possibilités d’interprétation de ces matériaux naturels dans le textile. En découle alors un design expérimental et conceptuel dont le rendu s’apparente à du trompe l’œil, grâce auquel l’utilisateur est invité à découvrir des esthétiques nouvelles et responsables.
On peut aussi parler de la designer
Rita Koralevis. Cette créatrice réalise des lampes faites essentiellement à la main à partir de papier recyclé et de ciment. Un objet trompe-l’oeil qui nous induit en erreur par sa ressemblance frappante avec de la pierre.
Réaliser des créations aussi proches du naturel esthétiquement parlant nous amène à réfléchir sur leur composition. En découle alors tout un questionnement sur l’origine de ces créations, de ces matériaux ainsi qu’une réflexion beaucoup plus sociétale sur nos façons de consommer.
L’organique
Inclure la nature au sein même d’une création c’est parfois le faire sous toutes ses formes. Mais puisque cet idéal n’a pas de modèle fixe et prédéfini, toutes les formes sont sujettes à interprétation par les designers et créateurs. On retrouve alors beaucoup de formes organiques, qui montrent la matière en véritable mutation. Un esthétique revendiquée par les designers que certains qualifient comme “laide” ou encore “dérangeante”. Pourtant historiquement, cet esthétisme dit “vivant” questionne l’harmonie entre l’Homme et la nature, puisqu’il apporte de la vie à ce qui est inanimé.
Matières et objets déformés, mutants... Face au diktat de ces dernières décennies prônant des meubles lisses, laqués, et souvent similaires cette tendance marque une rupture brutale dans la forme comme dans le choix des matériaux pour apporter de la vie au sein de l’habitat. Avec Virtuous, dites adieu au modernisme trop froid, uniforme, impersonnel et sans humanité pour vous laisser emporter par des créations et des matières aussi vivantes que surprenantes. Désormais valorisés au sein d’un ensemble moins nocif pour notre environnement, les matériaux de toutes sortes utilisés par les créateurs (déchets, matériaux recyclés ou matériaux naturels) font alors partie d’un ensemble plus vivant.
Côté création, les créateurs s’en donnent à coeur joie pour faire des déchets une matière mouvante, qui évolue. Face aux 50 à 80% de bois gaspillés en manufacture, la designer
Marjan Van Aubel récupère ces ressources qu’elle mélange avec de la résine biologique. En résulte alors une mousse de bois qu’elle malaxe pour donner des formes uniques à ses créations. Un résultat organique donc qui nous laisse penser que la matière elle-même est venue parasiter l’assise.
Pour réaliser Salt, le design
Erez Nevi Pana a ré-utilisé des chutes de bois pour constituer ses assises qu’il a ensuite consolidées avec du sel. Après avoir placé ses créations dans la mer morte, le sel se cristallise alors autour de chaque tabouret pour le consolider. Cette technique lui permet ainsi de ne pas recourir à de la colle, par exemple, ni à d’autres ressources potentiellement non éco-responsables. La nature est alors ici incorporée au sein du processus créatif ce qui rend la démarche du créateur encore plus poétique. Bien plus que réaliser une oeuvre en hommage à la nature, cette dernière conclut réellement son travail. Erez Nevi Pana s’installe au bord de la mer pour y laisser plonger ses tabourets durant plusieurs jours en vue d’obtenir des créations uniques et organiques.
Toujours dans cette optique de réutilisation, pour sa collection Cocoon,
Marlène Huissoud nous surprend par le choix des matériaux. Essentiellement réalisée à partir de cocons de vers à soie, de résine d’abeille biologique et d’une base en bois, cette armoire détonne par son esthétisme organique autant que par les matériaux. Le travail de la jeune créatrice questionne nos habitudes de production en défiant les propriétés de nos ressources naturelles. Un esthétique que l’on retrouve également chez
Mass. Faite à partir de liège cette création reflète les formes, textures et couleurs de l’environnement dans lequel elle a été réalisée. Avec son aspect rocailleux, elle joue avec notre perception et nos sens grâce à sa forme naturelle non conventionnelle dans l’habitat.
L’imparfait et l’aléatoire
Outre la maîtrise traditionnelle des matériaux et de leurs formes, en voulant s’inspirer de la nature, les designers s’octroient beaucoup plus de liberté dans la matérialisation et l'exécution de leurs créations. Alors que la sur-maîtrise, les formes dites parfaites devenaient des normes aux yeux des créateurs, on laisse désormais la matière se mélanger, se former et se mouvoir au gré de ses envies et cela sans aucun contrôle.
Face à des logiques de consommation produisant en série tout un tas d’objets du quotidien, les consommateurs recherchent l’opposé : l’unicité. Les
imperfections des matériaux ou encore l’artisanat deviennent alors de parfaites solutions à leurs yeux pour obtenir des créations uniques. Bien plus qu’un matériau qui se plie aux envies du créateur, la matière devient désormais maître d’elle-même et de ses formes. Tout comme la nature, elle n’obéit donc qu’à ses propres règles résultant toujours sur une forme différente, surprenante voire inattendue.
Sea Chair, par le
studio Swine, comprend parfaitement cette notion d’aléatoire au sein même du processus créatif. Faite à partir de déchets recyclés provenant de nos océans, chacune a son esthétique propre montrant chaque couche de déchet qui la compose. Une manière subtile et ingénieuse de valoriser la beauté des détritus.
Mogu, créée par le studio
Officina Corpuscoli, est constituée de racine de champignons, nommée mycélium : un matériau biologique qui réagit de manière incontrôlée à la chaleur. Également biodégradable, cette création issue de la terre peut se désagréger naturellement en ne causant aucun effet néfaste sur notre environnement. Le studio propose ici une véritable alternative vertueuse puisque ce matériau est complètement naturel. Alors que le recyclage donne un second souffle au plastique (souvent réalisé à partir de pétrole), l’usage du mycélium est totalement vertueux puisque cette ressource provient des racines de champignons.
En récupérant du plastique, qui est ensuite broyé en fine poudre puis transformé en spaghettis, l’atelier
Maximum transforme les déchets en créations à la teinte unique. S’ensuivent alors plusieurs dégradés de couleurs sur lesquels les designers n’ont aucun contrôle. Ainsi, l’unicité propre à ces créations est un but recherché par les consommateurs. Chaque assise ne peut être reproduite à l’identique ce qui renforce l’esthétique unique de chaque création.
Toujours dans l’idée de réutiliser le plastique, le
studio Ecopixel récupère également ces ressources (plus particulièrement du polyéthylène) qu’il chauffe à plus de 120 degrés. Grâce à leur démarche et à leur technique, les designers dégagent des motifs différents pour chaque création. Un parfait procédé dont résulte des pièces uniques en leur genre. Généralement utilisé en tant que revêtement de sols ou de surfaces, l’effet terrazzo ici sert l’objet pour obtenir des créations à l’esthétique inimitable tout en attisant la curiosité de chacun sur sa composition.
Face à la multitude de problèmes environnementaux recensés ces dernières années, le recyclage des déchets ne devient plus un choix de vie, mais une véritable nécessité. Un constat alarmant auquel la tendance Virtuous propose des solutions à la fois esthétiques et innovantes pour sauvegarder au mieux les ressources de notre écosystème. Recycler les ressources est un premier pas vers la vertue, mais force est de constater que l’utilisation du plastique récupéré est encore prépondérante dans la réalisation de créations. Pour être complètement vertueux, recourir à des matériaux propres (ayant un impact positif ou infime sur l’environnement lors de sa production) comme le bois, les fibres végétales ou encore la laine de verre s’avèrent plus responsable pour notre environnement. Les nouvelles générations de designers et de makers, de plus en plus sensibles aux impacts écologiques, sauront-elles imposer ces nouvelles pratiques vertueuses au monde du design ?